Vijnana Bhairava Tantra

 

Au cœur de la conscience il y a la poésie. Au cœur de la poésie il y a la suggestion, la résonance. Le Vijnana Bhairava Tantra n’est pas un recueil de rituels, ni de techniques de yoga, c’est un texte de poésie. C’est un texte qui dit peu, qui suggère bien d’avantage et qui résonne à l’infini. C’est un manuel de délectation esthétique (rasa).

🌕 Le dialogue entre Shiva et Shakti 🌑 

Il s’agit d’un dialogue entre Shiva = Ce qui est Lumière (prakash) et Shakti = Ce qui a Conscience, ce qui perçoit, désir et interroge (vimarsha). ¹

Au début du récit la Déesse demande à Shiva : « Quelle est l’essence du Divin ? »

Ici, la Conscience (personnifiée par la Déesse) est un désir infini qu’aucun savoir ne peut rassasier. Le désir n’étant lui-même rien d’autre que l’Absolu (ici personnifié par Shiva) la Conscience s’interroge elle-même sur sa propre nature qui n’est pas réductible à une définition.

Alors pour lui répondre, Shiva partage avec la Déesse 112 upadeshas. Il s’agit d’enseignements condensés sous forme d’instructions pratiques : des propositions magnifiques d’écoute de la respiration, de concentration sonore, visuelle, de méditation sur le vide, etc. Mais il l’invite également à développer son attention dans des circonstances plus surprenantes de la vie quotidienne : bâillement, éternuement, colère, surprise ou encore dans des situations de peur ou de stress…

🌕 Un ouvrage majeur de la philosophie du Tantra 🌑 

Avec le Shivasûtra et le Spandakarika il fait parti des trois textes tantriques Shivaïtes fondamentaux.

Ce texte a été réalisé au nord-ouest de l’Inde, dans la région du Cachemire aux alentours du 7 ou 8ème siècle. L’auteur de cet ouvrage reste inconnu. Nous savons seulement que c’est Ksemaraja (disciple d’Abinavagupta) qui en fait à cette époque les premiers commentaires.

Cependant, une grande parti de ces écrits ont disparus suite aux invasions musulmans et ce n’est qu’au 18 ème siècle, que Shivopadyaya se donne la tâche de compléter la suite des commentaires du texte que nous connaissons aujourd’hui et sur lesquels s’appuie les traducteurs contemporains : Lillian Silburg en 1999, puis par de nombreux auteurs francophones : Daniel Odier, Pierre Feuga, David Dubois, etc.

Le Vijnana Bhairava Tantra réunit un très grand nombre de pratiques. Celles-ci ne sont pas classées et ne suivent aucune progression. Certaines se ressemblent parfois et d’autres semblent incompatibles entre-elles. Toutes ces invitations méditatives impliquent des gestes ou des attitudes intérieures très simples et réalisables par tous.

Si nous tentons d’en regrouper certaines, nous pouvons noter que de nombreuses pratiques pointent vers la contemplation de :

1 – la vacuité : corporelles, mentales, contemplation d’espaces vides, d’intervalles entre les objets, entre les souffles, entre les pensées, etc. L’attention est invité à se poser sur les interstices.

2 – du commencement (shakti) ou de la fin (shiva) d’un mouvement : le jaillissement de l’inspiration ou de l’expiration, l’apparition d’une forme visuelle, la dissolution du son dans l’espace infini du silence, etc.

Finalement toutes ces pratiques ramènent toujours à cette toile de fond qu’est l’Absolu, un espace tranquille, transparent, sans limite et de pure béatitude… Le yogi s’absorbe dans dans l’espace du Cœur (Hridaya), dans le Vide (Anuttara), dans sa propre essence et reconnait enfin le Divin en lui-même.

🌕 Retrour à la pure présence du Soi 🌑

Cet ouvrage ne transmet pas d’enseignement conceptuel, sinon qu’il ne faut pas essayer de saisir par la pensée ce qui est incompréhensible. C’est par la profondeur de sa présence au monde phénoménal que le tantrika touchera à l’Absolu. Il n y a RIEN à COMPRENDRE mais tout à SENTIR.

« Tout ce qui est ici, est ailleurs, ce qui n’est pas ici n’est nul part. » (Visvasara Tantra)

Je m’allonge dans l’herbe. Je regarde le ciel. Je chante. Je mange un fruit. Je marche dans la rue. Je touche la surface d’un mur. Quelqu’un croise mon regard. Je tombe amoureuse. Quelqu’un m’agresse. Je pleurs. Quelqu’un meurt.

Il n y a rien à comprendre. Toute expérience est prétexte à sentir. Toute situation nous invite à revenir à cette intensité (et cette folie) qui est au cœur de la vie. Autorisons-nous, dans la vie quotidienne l’espace et le temps de la contemplation. SOYONS PRÉSENCE. Rien n’est à éviter, rien est à rechercher. Ne résistons plus à aucun ressentis. La vie est une exploration. Laissons nous saisir par l’intensité des émotions qu’une situation provoque en nous jusqu’à ce qu’elle se dilate et qu’elle devienne neutre.

Au cœur même de notre propre expérience psycho-corporelle – et sans jamais faire appelle à l’imaginaire – devenons amoureux de ce qui se passe dans l’instant. Utilisons la beauté autour de nous et nos capacités d’émerveillement comme voie d’accès vers l’infini. Voilà ce que ne disent pas, mais permettent de faire résonner en
nous ces centaines de poèmes initiatiques !

Le Vijnana Bhairava Tantra est un objet d’art car il porte en lui ce parfum de liberté sauvage qui ne mène nul part. Il nous rappelle que toute l’intensité de la vie n’est pas à chercher ailleurs qu’en nous-même et que tout cela ne nécessite aucune conclusion.